Loin de Paris et de ses émeutes, l'image parait plus nette...
Que vois t'on? Tout ce que la capitale compte de photographes de presse, jetés sur le pavé humide, casques rivés sur la tête, visières baissée, bardés d'appareil, look carré en ombre chinoise. Ils courent, sont présents partout, entre les manifestants, derrière ou devant les casseurs, c'est la guerre, les lacrymos et les matraques...
Le but du jeu est de rapporter l'image, au "péril" de sa vie, l'ambiance est tendue, tout ça est excitant...
Terriblement excitant.
Pour une fois...
Parce que le quotidien est morose, que le marché se réduit, que la place faite aux photographies de presse dans les magazines disparaît au profit des images publicitaires. Parce qu'on pige, qu'on bouffe mal et que l'agenda ne se remplis pas. Les après midi ou la pluie tombe sur la capitale, fin de mois, on se regarde pour la 20ème fois le film documentaire de Chauvel (formidable)... Delahaye, Nachwey ou Boulat parlent de guerre, d'engagement, de conscience politique, d'une vie que l'on a imaginé vivre cent fois sans en imaginer le prix. On a l'impression l'espace d'un instant de se retrouver dans les années 70, attendant un coup fil pour partir à l'autre bout du monde. C'est la fin de la bande. Retour au réel.
Alors quoi?
Cette cohorte médiatique prend son pied. Car il s'agit bien de cela, de photographes nostalgiques d'un temps ou l'on partait à la guerre comme le mercenaire. De photographes se rappelant leur vie rêvée ou vécue, disparue depuis... Pour les plus jeunes le moyen de faire leurs preuves, tenter d'accrocher une "paru" ou séduire un agence à coup de cliché fort. Loin des traditionnels défilés "plan plan", on est à Bagdad ou Beyrouth à deux pas de la Bastille... c'est le reportage de guerre à moindres frais.
"Vas y coco, ramène nous des images et si t'es bon on te garde, en diffusion bien sur, faut pas rêver..."
Alors rament les rameurs, les petites mains fraîches sorties des écoles.
Ils passent devant les anciens, poussés dans la rue par un coup de pied au cul. Un souvenir de "j'y étais" et un sentiment de "je suis encore capable". Ou "c'est mon boulot" (évidement ça fait trente ans, tu vas pas t'arrêter quand ça se passe en bas de chez toi!). Ceux là se rassurent, se disent que les 15, 10 ou 5 ans à tirer vont se passer pas si mal.
De discussions en discussions, entre collègues, jeunes et briscards, finalement on ne souhaite qu'une chose: que ça pète!
Pour être au milieu du merdier et faire des images, se sentir exister. On a tous envie de ça. Les analyses professionnelles à la sauce "sociologique" très bien. On fraye avec le danger, la tension la sueur et le gaz piquant, et l'impression qu'il n'y a que nous qui pouvons nous trouver là. Témoins irréductibles d'une démocratie malade. Entre gentils flics et méchants casseurs. Voyeurs exploités par un système que l'on refuse de voir changer. Accrochés à nos vieux rêves, pour une fois aveugles consentant. L'oubli de NOTRE réalité fait du bien.
Rien n'excuse les exactions des uns ni des autres, les agressions et les insultes.
Mais de grâce, tant qu'il n'y a rien de grave ne regrettons pas d'être là, ne regrettons pas de faire notre boulot et de construire les histoires de demain, les rêves de nos successeurs.
Pour le reste, la sémiologie, la narration du conflit, les images existent. Il n'y aucun doute sur la maladie de la presse française: cécité!
Les pages des News mags et des quotidiens relèvent de la responsabilité de ceux qui les font. Les contenus rédactionnels ne peuvent être plus fidèles à la réalité sans un réel effort déontologique. Remettre la presse française en ordre de marche,, lui redonner une crédibilité, et faire en sorte qu'elle redevienne le miroir de notre société.
C'est une large question, dans laquelle nous autres photographes avons notre place. Il faut la récupérer.
Garywald